
ACHETER UN BIEN IMMOBILIER EN SCI : COMMENT ÇA MARCHE ?
L’idée d’acheter un bien en société civile immobilière (SCI) ne date pas d’hier. Pourtant, déterminer si cette perspective est adaptée à vos besoins est toujours un casse-tête. La société civile immobilière peut paraître attractive : la souplesse de sa gestion et l’attractivité de sa fiscalité en séduisent plus d’un. Encore faut-il savoir quoi en faire.
Créer une SCI pour gérer son patrimoine immobilier.
La création d’une SCI [1] permet à ceux qui le souhaitent de gérer leur patrimoine immobilier. Rassurez vous, il n’est pas nécessaire de disposer actuellement d’un bien immobilier pour créer votre SCI. Il est même très fréquent de voir des investisseurs créer une société civile immobilière en vue d’acquérir un bien immobilier.
Dès lors, il est possible : d’acheter un bien immobilier, puis de créer une SCI ; ou
de créer une SCI, puis d’acheter un bien immobilier.
Créer une SCI en respectant les règles obligatoires.
Un minimum de deux associés.
Si vous souhaitez créer une SCI pour acheter un bien immobilier, sachez que vous ne pouvez le faire seul. En effet, pour créer une SCI, il faut être au minimum deux associés.
Un capital minimum d’un euro.
Une fois que vous avez trouvé votre compagnon de route, il faudra apporter un capital social. Ce dernier peut être d’un euro. En revanche, l’achat d’un ou plusieurs biens immobiliers nécessite des fonds importants. Sans apport, ce projet se complexifie.
En pratique, il est courant de se tourner vers une banque pour financer ce type d’achat et un apport minimum des associés sera exigé par les établissements bancaires.
La désignation d’un gérant.
Par la suite, il vous faudra désigner un gérant qui aura pour mission de réaliser les actes communs de la société et la représenter.
Attention : le gérant de la SCI peut effectuer, seul, de nombreuses opérations. Il peut mettre en location les biens ou encore souscrire un contrat au nom et pour le compte de la société.
Un objet social civil.
L’objet social de votre SCI ne peut être commercial. Vous ne pouvez donc pas exercer une activité d’achat – revente de biens immobiliers. Si c’est votre souhait, il devient nécessaire de se tourner vers une société commerciale.
Créer une SCI avec des associés de confiance.
La SCI est une forme sociale très souple, ce n’est un secret pour personne. Mais cette souplesse a pour corollaire une responsabilité des associés qui n’est pas limitée. En effet, les associés d’une SCI sont indéfiniment responsables, et ce, de manière subsidiaire et non-solidaire.
Une responsabilité subsidiaire, car elle ne peut être mise en œuvre que si la société n’est pas solvable. Par ailleurs, la responsabilité des associés d’une SCI est dite non-subsidiaire, parce qu’ils sont responsables des dettes de la société à proportion des parts sociales qu’ils détiennent. Cela signifie que vous ne pouvez pas être amené à payer à la place de l’un de vos associés si votre SCI ne peut le faire.
Comment créer une SCI ?
Acheter un bien en SCI est sur votre liste des choses à faire pour cette année 2022, et vous avez été convaincu par cette forme sociale pour votre investissement immobilier. Dès lors, il est nécessaire de créer votre SCI en effectuant les formalités suivantes : rédaction de statuts ;
dépôt du capital social ;
publication d’un avis de constitution dans un journal d’annonces légales (JAL) ;
dépôt des documents greffe du Tribunal de commerce.
La SCI pour acheter un bien immobilier : deux possibilités.
L’intérêt principal de la SCI pour acheter un bien immobilier dépend principalement de l’utilisation que vous en faites. Le louer n’apporte pas les mêmes avantages que d’y habiter.
Acheter un bien pour le louer.
Acheter un bien immobilier à plusieurs permet de financer un projet que vous n’auriez sans doute pas entrepris seul. La SCI ne pouvant être créée qu’avec un minimum de deux associés, vous pouvez acheter un bien à plusieurs, et décider de le mettre en location par la suite. Les loyers perçus vous permettront de financer le bien.
D’un point de vue fiscal, la SCI est en principe soumise à l’impôt sur le revenu (IR). Oui, mais seulement si votre location est non-meublée. Il faut savoir qu’une SCI qui réalise une activité de location meublée habituelle ou à titre principal est imposable à l’impôt sur les sociétés (IS).
La location d’un bien acheté en SCI devient intéressante lorsqu’il s’agit de vendre le bien. En effet, la cession de l’immeuble est simplifiée. Elle a lieu uniquement par la cession des parts sociales, sans passer par le notaire.
Acheter un bien pour y habiter.
Vous pouvez faire le choix d’habiter dans le bien immobilier que votre SCI a acheté. C’est d’ailleurs une des opérations les plus fréquentes en création de SCI.
Que ce soit entre concubins ou membres d’une même famille, acheter un bien en SCI pour y habiter peut s’avérer être une bonne option, surtout si vous pensez déjà à votre succession.
En effet, la transmission du bien sera facilitée.
Quels sont les avantages d’acheter un bien en SCI ?
La création d’une SCI vous permet d’optimiser l’acquisition, la gestion et la transmission d’un ou plusieurs biens immobiliers.
De nombreux entrepreneurs décident d’acheter un bien en SCI pour optimiser la transmission de leur patrimoine immobilier. Dans le cadre d’une transmission de patrimoine, ce sont les parts sociales de la SCI qui sont cédées et non le bien immobilier lui-même. À ce titre, la procédure de transmission est plus simple et moins coûteuse. En pratique, si vous souhaitez optimiser votre patrimoine familial, vous avez la possibilité d’opter pour la création d’une SCI familiale.
La SCI vous permet d’investir à plusieurs. Dans ce cas, cela vous permet de réaliser des investissements immobiliers que vous n’auriez pas pu réaliser seul.
Enfin, acheter un bien en SCI comporte d’autres avantages, notamment en termes de fiscalité.
À ce titre, n’hésitez pas à vous faire accompagner par un professionnel pour optimiser la fiscalité de votre projet immobilier.
METTRE SON BIEN EN LOCATION : PRÉCAUTIONS À PRENDRE, OBLIGATIONS À RESPECTER ET PIÈGES À ÉVITER.
L’investissement locatif reste l’investissement préféré des Français.
La mise en location d’un bien immobilier est très encadrée : tous les logements ne sont pas aptes à la location et celle-ci n’est pas sans conséquences, aussi bien pour le bailleur que pour le locataire.
Tour d’horizon des principales règles à respecter par le bailleur avant la mise en location et au cours du contrat.
Mon bien peut-il être mis en location ?
Le bailleur doit s’assurer en premier lieu que le logement respecte les critères de décence prévus par la législation.
L’état du logement doit permettre de garantir la sécurité physique et la santé des locataires : Assurer le clos et le couvert,
L’étanchéité à l’air doit être suffisante,
Présenter les dispositifs de retenue des personnes adéquats (garde-corps),
Réseaux et branchements d’électricité et de gaz et équipements de chauffage et d’eau chaude conformes aux normes de sécurité en vigueur et en bon état d’usage et de fonctionnement.
Pour pouvoir être mis en location, le bien doit présenter une surface minimum de 9 m² et une hauteur sous plafond 2,2 m ou bien un volume de 20 m3.
Le logement doit, en outre, être doté des équipements suivants : Installation sanitaire intérieur (exception : logement ne comportant qu’une seule pièce),
Cuisine ou coin cuisine,
Evacuation des eaux ménagères,
Réseau électrique permettant un éclairage suffisant de toutes les pièces,
Equipement permettant un chauffage normal,
Eau potable et courante.
Si le logement ne répond pas aux caractéristiques de décence, votre locataire peut vous enjoindre par voie judiciaire à faire les travaux nécessaires sous astreinte et vous faire condamner au versement de dommages et intérêts.
Dois-je effectuer des travaux au cours du bail ?
Au cours du bail, le propriétaire doit s’assurer que le logement est en bon état d’usage et de réparation et doit donc effectuer toutes les grosses réparations, autres que les réparations locatives.
Ainsi, si le locataire doit s’assurer de l’entretien courant du logement et effectuer les menues réparations, le bailleur prend à sa charge les travaux d’entretien et de réparation de la toiture, des fenêtres, des boiseries, du ballon d’eau ou encore de la chaudière en cas de dysfonctionnement dès lors que celle-ci est bien entretenue par le locataire.
D’une manière générale, le bailleur devra supporter tous les travaux de réparation dus à la vétusté du logement.
Un contrat écrit est-il obligatoire ?
La loi du 6 juillet 1989 impose l’établissement d’un contrat de location par écrit et précise la liste des mentions obligatoires du contrat qui doit comporter : Le nom ou la dénomination du bailleur et son domicile ou son siège social ainsi que, le cas échéant, ceux de son mandataire ;
Le nom ou la dénomination du locataire ;
La date de prise d’effet et la durée ;
La consistance, la destination ainsi que la surface habitable du logement ;
La désignation des locaux et équipements d’usage privatif dont le locataire a la jouissance exclusive et, le cas échéant, l’énumération des parties, équipements et accessoires de l’immeuble qui font l’objet d’un usage commun, ainsi que des équipements d’accès aux technologies de l’information et de la communication ;
Le montant du loyer, ses modalités de paiement ainsi que ses règles de révision éventuelle ;
Le montant et la date de versement du dernier loyer appliqué au précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail ;
La nature et le montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement du bail ;
Le montant du dépôt de garantie, si celui-ci est prévu.
Le contrat peut être complété librement par les parties, mais certaines clauses sont interdites.
A titre d’exemple, sont réputés nulles et non écrites les clauses imposant la souscription d’une assurance auprès d’une compagnie choisie par le bailleur ou l’obligation de paiement du loyer par prélèvement automatique.
Quels justificatifs demander au locataire ?
Concernant la solvabilité du locataire, la règlementation en la matière autorise l’exigence des justificatifs suivants : bulletins de salaire,
attestation d’emploi,
avis d’imposition,
quittances de loyer,
quittances EDF,
RIB.
Le bailleur (ou le professionnel) qui exige des documents non autorisés s’expose à une amende administrative.
Attestation d’assurance contre les risques locatifs.
Le locataire a l’obligation de souscrire une assurance contre les risques locatifs.
Il est important de demander au locataire de présenter une attestation d’assurance dès la remise des clés, et une fois par an en cours de bail.
L’assurance contre les risques locatifs couvre notamment les risques incendie, explosion et dégât des eaux.
Dois-je établir un état des lieux ?
L’état de lieux d’entrée permet de faire constater l’état du logement à l’arrivée du locataire et fait donc foi jusqu’à preuve du contraire.
Si l’état des lieux d’entrée n’a pas été réalisé, il sera impossible pour le bailleur de réclamer le coût des éventuelles réparations locatives en cas de dégradations imputables au locataire autre que celles liées à l’usure normale du logement.
Puis-je exiger un dépôt de garantie et une caution ?
Un dépôt de garantie et un acte de cautionnement peuvent être exigés au locataire afin de garantir le paiement du loyer.
Le montant du dépôt de garantie ne peut pas dépasser un mois de loyer hors charges.
Le cautionnement est très encadré et il est conseillé, pour s’assurer de sa validité, de confier la rédaction de l’acte à un professionnel.
La loi interdit aux bailleurs ayant souscrit une assurance garantissant les obligations locatives du locataire de demander en cautionnement, sauf si le logement est loué à un étudiant.
La quittance de loyer est-elle obligatoire ?
La délivrance d’une quittance de loyer n’est pas imposée, mais le bailleur est tenu de la délivrer au locataire si celui-ci en fait la demande.
L’établissement des quittances de loyer est gratuit et ne peut en aucun cas être facturée au locataire.
Puis-je exiger le versement d’une provision sur charges ?
Les charges récupérables correspondent aux dépenses imputables au locataire ; elles sont exigibles sur justification et peuvent donner lieu au versement de provisions qui doivent faire l’objet d’une régularisation annuelle.
Comment agir en cas d’impayé ?
Si votre locataire est défaillant dans le paiement de son loyer, il est conseillé d’agir sans délai.
Si le dialogue ne permet pas de trouver une solution, le bailleur doit immédiatement mettre en place la procédure de recouvrement et, le cas échéant, d’expulsion, si les manquements du locataire sont graves ou si l’impayé est important.
La condamnation du locataire au paiement de son arriéré locatif et son éventuelle expulsion des lieux loués ne peuvent être obtenus que par la voie judiciaire en respectant la procédure prévue à cet effet : Commandement de payer délivré par voie d’huissier,
Saisine de la CCAPEX,
Assignation devant le tribunal judiciaire,
Notification de l’assignation à la préfecture,
Signification de la décision et commandement de quitter les lieux.
Afin de mettre en location votre bien en toute sérénité, faites vous accompagner par des professionnels du droit et de l’immobilier. Par Léna Cazenave, Juriste.
BAUX COMMERCIAUX : « LOYERS COVID », LE MONDE D’APRÈS.
Face aux incertitudes judiciaires, il est bienvenu que le Tribunal judiciaire de Chartres ait saisi la Cour de cassation (n°21-70.013), qui répondra enfin à trois questions importantes que se posent les praticiens des baux commerciaux depuis un an et demi concernant les « loyers Covid ».
L’avis de la Cour, prévu le 5 octobre prochain, qui n’aura certes pas valeur contraignante, mais qui constituera un baromètre, est attendu de pied ferme, qu’il s’agisse des plaideurs, impatients de savoir quels leviers contractuels « marcheront », mais également des rédacteurs, qui devront en tirer les conséquences dans les actes à conclure.
Le preneur peut-il opposer l’exception d’inexécution pour refuser de payer les « loyers Covid » ?
L’exception d’inexécution désigne le refus d’une partie d’exécuter une obligation contractuelle exigible à raison de l’inexécution grave par l’autre partie de sa propre obligation [1].
Dans le contexte de la crise sanitaire, pour refuser d’exécuter leur obligation de paiement, certains preneurs, empêchés d’exploiter leur local, ont soulevé le manquement grave à l’obligation de délivrance et/ou de jouissance paisible mise à la charge du bailleur [2].
La Cour de cassation devra se prononcer sur le point de savoir si le manquement à ces obligations peut être constitué alors même que le bailleur n’a aucun pouvoir, ni contrôle sur l’événement ayant entraîné l’empêchement de l’exploitation.
L’exécution du bail, et notamment, l’obligation de paiement des « loyers Covid », peut-elle être suspendue pour cause de force majeure ?
En cas de survenance d’un événement « échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriés » rendant temporairement impossible l’exécution d’une obligation, celle-ci est suspendue pour la durée de l’événement [3].
Dès le premier confinement, cet argument a été affiché comme l’arme absolue. Ainsi, la fermeture administrative ordonnée par les pouvoirs publics pour lutter contre la propagation du virus « ne pouvait que » constituer un cas de force majeure de nature à suspendre temporairement l’exécution du bail (tant l’obligation de délivrance du bailleur que l’obligation de paiement du preneur).
Cela ne va pourtant pas de soi.
Dès lors, l’éclairage de la Cour de cassation ne manquera pas d’intéresser tous les praticiens du droit des contrats commerciaux car, si l’existence de ce cas de force majeure était confirmée en matière de bail commercial, le raisonnement de la Cour pourrait être transposé à d’autres domaines contractuels.
Le locataire dont l’exploitation est empêchée par une fermeture administrative subit-il une perte partielle de la chose louée justifiant une dispense de paiement des « loyers Covid » ?
Lorsque la chose louée est détruite en partie, « le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation même du bail » [4].
Des plaideurs habiles ont soutenu, avec un relatif succès, d’ailleurs, que l’interdiction temporaire d’exploiter des locaux commerciaux imposée par les pouvoirs publics équivaudrait à une perte partielle de la chose louée, justifiant une dispense de paiement des loyers pour la période considérée, la notion de destruction n’étant pas nécessairement physique.
Là encore, il appartiendra à la Cour de cassation de statuer, étant relevé que l’article 1722 du Code civil ne prévoit pas seulement la réduction du loyer, mais aussi la résiliation du bail. Si la perte partielle de la chose louée était admise sur le principe, certains preneurs pourraient donc s’en prévaloir pour tenter de se défaire d’un bail dont ils ne voudraient plus.
A n’en pas douter, il y aura, pour les baux commerciaux, un « monde d’après ».
Les aménagements que bailleurs et preneurs parviendront à faire apporter à toutes ces dispositions, qui pouvaient précédemment apparaître comme – presque – de pure forme dans un bail, seront cruciaux dans la recherche d’un équilibre contractuel et surtout, dans la gestion constructive de crises futures auxquelles tout le monde s’attend désormais.
Plus encore qu’auparavant, les rédacteurs chercheront à prévoir l’imprévisible et leurs clients ne penseront plus que le pire ne peut pas se produire.

LE DÉSORDRE S’ACCROÎT DANS L’OCTROI DU CRÉDIT IMMOBILIER AUX CONSOMMATEURS (1/2) : L’ENCHEVÊTREMENT DES NORMES.
L’hyperlégifération enchante les angoissés du vide juridique. Elle est active en crédit immobilier aux Consommateurs. Depuis le 20 décembre 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (ou « HCSF ») impose des « normes » d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs visant à « prévenir une dynamique excessive de l’endettement des ménages (sic) ». Depuis le 1er janvier 2022, le HCSF présente ces « normes » limitant l’octroi de crédit immobilier comme dotées d’un caractère juridiquement contraignant . Conséquence : en 2022, la France est entrée dans une forme inédite d’encadrement du crédit immobilier aux Ménages.
Mais ces « normes » d’octroi s’ajoutent à celles déjà existantes, visant les mêmes buts ; notamment : l’obligation de mise en garde en crédit et l’obligation de conseil en crédit du Courtier Intermédiaire en Opérations de Banque et en Services de Paiement (IOBSP). La première partie de cet article fait le point du désordre juridique en matière d’obligations précontractuelles en crédit immobilier aux Consommateurs, accru depuis le 1er janvier 2022 par le Haut Conseil de Stabilité Financière.
1. Jusqu’en 2016, l’octroi du crédit immobilier aux Consommateurs était encadré par l’inusable obligation jurisprudentielle de mise en garde, à la conception spectaculairement ratée.
En 2021, 274 milliards d’euros de prêts immobiliers nouveaux sont allés aux Ménages. Cette production jugée « élevée » par la Banque de France, a été « favorisée notamment par des taux d’intérêt toujours historiquement bas (1,10% en décembre) » ; elle est également qualifiée de « désormais compatible avec le cadre défini par le Haut conseil de stabilité financière pour assurer la sécurité des emprunteurs » (Banque de France, crédits aux particuliers, 4 février 2022). Comme si le HCSF avait remédié à un désordre.
Or « la sécurité des emprunteurs » n’était pas menacée, comme le montrent les données qui suivent ; car le Droit la prévoit activement. Désormais, l’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs par des prêteurs professionnels s’inscrit dans quatre natures de sources, par ordre d’apparition chronologique : la pratique bancaire ancestrale ; la norme jurisprudentielle des Tribunaux civils, bien maladroitement produite ; la Loi limpide, issue de la législation européenne transposée essentiellement en 2016 ; enfin, les « normes » mal fondées du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), depuis le 1er janvier 2022.
En premier lieu, une forme primaire de protection des Consommateurs a d’abord découlé de la technique bancaire, complétée par une première version de l’obligation de mise en garde jurisprudentielle combattant le crédit excessif.
1.1. La technique bancaire d’octroi de crédit aux Particuliers se montre insuffisante pour prévenir le risque de crédit excessif.
L’économie de l’immobilier est essentielle à l’économie française : son poids (construction et activités immobilières) avoisine 14% de l’économie (part de la valeur ajoutée, par branches, INSEE, 2020). Près de 1.200.000 biens immobiliers se sont vendus en 2021, un record (www.notaires.fr).
Environ 80% des achats immobiliers effectués par Particuliers sont financés par des emprunts. Le marché du crédit immobilier (ou « à l’habita ») aux Consommateurs (ou aux Ménages) fait partie des marchés de masse. Ce marché dépasse 1.200 milliards d’euros d’encours de prêt (sur plus de 1 400 milliards d’euros d’encours aux Particuliers, source : Banque de France, données à fin décembre 2021, 4 février 2022). Près d’un Ménage sur trois (31,4%) détient un crédit immobilier (Observatoire du crédit aux Ménages, 2020, 9 février 2021). Près de 89% (88,7%) d’entre eux estiment supportables leurs charges de remboursement (même source).
L’octroi de crédit immobilier obéit primitivement et seulement à des principes historiques de techniques bancaires. Jusqu’au milieu des années 2000, le prêteur professionnel, producteur bancaire, a gouverné souverainement l’octroi de prêt immobilier aux Particuliers. L’origine du taux d’endettement fixé à 33% (les charges représentent un tiers des revenus) se perd dans les sables du temps. Il ne protège manifestement pas des prêts excessifs.
Historiquement, la technique bancaire née à la fin du XIXe siècle n’a d’attention que pour les prêts aux entreprises. Les banques s’intéressent aux Particuliers et à leurs crédits immobiliers tardivement, vers 1966. L’encadrement du crédit (limitant le taux de croissance des encours bancaires) prend fin en 1987 et stimule le marché des Particuliers. La pratique intensive des sûretés, d’abord immobilières, puis cumulant sûretés immobilières et personnelles (avec le juteux cautionnement émanant de sociétés filiales des prêteurs) procure rapidement au marché du crédit immobilier des Particuliers une tournure appétissante pour les banques. Le « ratio d’endettement » de 33% est consacré. En 1995, la Cour de cassation reconnait qu’ : « […]il convient d’examiner la responsabilité du banquier au regard de l’usage reconnu et pratiqué par tout le système bancaire, en matière de prêt aux particuliers, selon lequel l’endettement ne doit pas dépasser le tiers des ressources de l’emprunteur » (Cour de Cassation, Civ. 1ère du 4 juillet 1995, 93-16822).
Cette norme professionnelle d’endettement était naturellement insuffisante. Face à la prise de conscience de la nécessité de lutter contre l’octroi de crédits excessifs, la Jurisprudence a inévitablement apporté ses propres critères à cette pratique professionnelle bancaire. En 2005, en l’absence alors de tout cadre légal touchant l’octroi de crédit immobilier aux Particuliers, la Jurisprudence civile aborde courageusement la question du crédit immobilier excessif. Cette démarche aboutira à un système bancal pour le Consommateur, confortable pour les prêteurs, dont les déséquilibres sont encore à l’œuvre.
Dans un premier temps, les Tribunaux optent pour la clarté : d’abord, avec l’obligation de conseil en crédit. Puis, revenant sur cette obligation, en la remplaçant par une obligation de mise en garde contre un crédit excessif, formulation plutôt claire.
À partir de 2005, la Cour de cassation débarrasse le prêteur de toute obligation de conseil en crédit, après avoir pourtant un temps posée cette obligation (Cour de cassation, Civ. 1ère du 27 juin 1995, n° 92-19212). Elle renonce à cette obligation de conseil en crédit à la demande insistante des prêteurs. Elle invente entre 2005 et 2007 l’ambigu devoir (ou obligation) de mise en garde. Dans sa formulation initiale, en 2005, cette obligation de mise en garde consistait à attirer l’attention de l’emprunteur « non averti » sur « un prêt excessif au regard de[s] facultés contributives [des emprunteurs] », ainsi que sur « les prêts litigieux […] excessifs au regard des facultés de remboursement », sur un défaut de vérification des capacités financières de l’emprunteur non averti (Arrêts initiaux : Cour de cassation, Civ. 1ère du 12 juillet 2005, n°03-10921 n°02-13155 et n°03-10115 ; Cour de cassation, Com. du 3 mai 2006, n°04-15517 ; fondés sur la responsabilité contractuelle de l’actuel article 1231-1 du Code civil). L’emploi des termes de « prêt excessif » dote ce premier apport jurisprudentiel d’une honnête lisibilité.
Mais en 2007, l’obligation de mise en garde de l’emprunteur non averti contre le risque d’un crédit excessif dérive en obligation de mise en garde contre le risque de l’endettement né de l’octroi du prêt, une formulation particulièrement malheureuse. La Cour de cassation davantage soucieuse des équilibres du système bancaire que de l’équilibre global du marché du crédit et de la protection des Consommateurs, élabore ainsi une norme bancale : celle de l’obligation jurisprudentielle de mise en garde de l’emprunteur.
La maladresse conceptuelle de cette obligation de mise en garde jurisprudentielle s’ajoute aux oscillations permanentes de sa formulation pour créer la confusion ; cette version de l’obligation de mise en garde en crédit est toujours en vigueur pour les prêts immobiliers souscrits avant le 1er octobre 2016 (date de la nouvelle définition, légale cette fois, de l’obligation de mise en garde de l’article L313-12 du Code de la consommation). S’agissant d’un travail émanant de la Cour de cassation, la lourdeur de la formulation n’est certainement pas fortuite. Elle n’en est pas moins regrettable.
1.2. La Jurisprudence d’octroi de crédit fondée sur l’obligation de mise en garde de l’emprunteur non averti « à raison […] des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts. »
La clarté initiale de la formulation de l’obligation de mise en garde contre le risque d’un crédit excessif est donc pulvérisée en 2007. La formulation alors, et finalement, fixée par la Cour de cassation évolue en : « conformément au devoir de mise en garde auquel elle [est] tenue […] lors de la conclusion du contrat, la [banque] justifi[e] avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts » (Cour de cassation, Ch. Mixte, du 29 juin 2007 n°05-21104. Décision référente en ce domaine).
Au lieu de conserver la formulation initiale, claire, mettant l’accent sur la compréhensible notion de « risque d’endettement excessif », de nouveau utilisée ces derniers temps par les Cours d’appel (Cour d’appel de Versailles, du 7 octobre 2021, n° 20/03900 ; Cour d’appel de Toulouse, du 11 janvier 2021, n° 16/05577) la Cour de cassation a principalement opté pour la formulation bien connue du : « […] devoir de mise en garde […] au regard de[s] capacités financières [de l’emprunteur] et du risque de l’endettement né de l’octroi des prêts » (Cour de cassation, Com. du 11 décembre 2007, 03-20.747). Maintes fois le « risque de l’endettement » (avec son « l’ ») est en pratique confondu avec le « risque d’endettement » (avec un « d’ »).
Or le « risque d’endettement né de l’octroi des prêts » constitue d’évidence une formulation de nature tautologique, dépourvue de sens puisque l’octroi d’un prêt suscite mécaniquement un endettement, lequel est nécessairement un risque, pas systématiquement excessif. Cette confusion est souvent faite par la Cour de cassation elle-même (Cour de cassation, Civ. 1ère du 21 octobre 2020, 19-18083 ; ou Cour de cassation, Civ. 1ère du 10 septembre 2015, 14-18851).
Dans sa recherche de préservation des droits du prêteur, la tortueuse mise en garde en crédit protège bien mal le Consommateur. En réalité, il s’agit bien de mise en garde essentiellement en présence d’un risque d’endettement excessif (ou d’un risque excessif d’endettement) consécutif à l’octroi du prêt (Cour de cassation, Com. du 18 février 2009 n° 08-11221 ; Cour de cassation, Com. du 10 septembre 2015 n°14-18851 ; Cour de cassation, Com. du 13 septembre 2016, n° 15-11130). Le risque d’endettement excessif ne se confond certainement pas avec celui du surendettement, les deux situations étant financièrement et juridiquement distinctes. En outre, la mise en garde peut concerner tout prêt non excessif, mais assorti d’un risque de remboursement : pour ne prendre qu’un exemple, avec un prêt relais mal organisé (Cour de cassation, Com. du 11 décembre 2007, n°05-20665 ; Cour de cassation, Civ. 1ère du 1er mars 2017, 15-29009). Les tremblements de formulation juridique au détriment du très clair qualificatif d’excessif accolé à l’endettement ont parfaitement réussis à obscurcir l’obligation jurisprudentielle de mise en garde en crédit. Ce devoir de mise en garde se limite à une alerte, sans considération pour le caractère adapté ou non du crédit à la situation de l’emprunteur ; et surtout, point substantiel, sans contrainte pour le prêteur de s’abstenir d’octroyer le crédit. Le risque visé par la mise en garde est « […] que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt » (Cour de cassation, Civ. 1ère du 5 janvier 2022, 20-18893).
Outre sa formulation spectaculairement manquée, le devoir jurisprudentiel de mise en garde pêche également par l’absence saisissant d’efficacité de sa sanction. En théorie, le manquement à la mise en garde est sanctionné par l’indemnisation du préjudice fondé sur la perte de chance de ne pas contracter le prêt excessif. La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cour de cassation, Civ. 1ère du 14 novembre 2019, 18-23915). Cette indemnisation, généreuse dans son principe, est hasardeuse en pratique. En effet, elle impose à l’emprunteur de démontrer que, correctement mis en garde, il n’aurait pas souscrit le prêt immobilier concerné (Cour de cassation, Com. du 13 février 2019, 17-14785, pour un risque non réalisé ; ou : Cour de cassation, Com. du 22 janvier 2020, 17-20819, comportant la recherche de l’existence d’un conseil quant au schéma global).
Outre cette difficulté de preuve, le quantum du préjudice est souvent limité, l’indemnisation de la perte de chance supposant (i) la perte d’une probabilité (ii) d’une éventualité favorable et se limitant toujours à une faible part de l’enjeu financier. L’absence de toute méthode sérieuse pour mesurer la perte de chance de ne pas souscrire un prêt immobilier, près de vingt années après l’invention de l’obligation de mise en garde donne des résultats dont la variété est stupéfiante : 39.000 euros de dommages et intérêts et 5.000 euros pour préjudice moral, pour un prêt d’un montant initial de 300.000 euros in fine, soit 13% du montant du prêt (Cour d’appel de Toulouse, du 14 septembre 2016, n° 13/04251). 3.200 euros de dommages et intérêts, soit 22% d’un prêt de 14.500 euros, prêt à la consommation (Cour d’appel de Bordeaux, du 21 juin 2018, n° 17/01804). Ou encore : 52.026,62 euros d’indemnité, soit 28% d’un prêt in fine d’un montant de 183.400 euros, au terme d’un raisonnement raffiné (Cour d’appel de Douai, du 27 mai 2021, n° 19/01465). Mais 10.000 euros d’indemnité pour un prêt de 32.390 euros, soit 31% du montant du prêt (Cour d’appel d’Agen, Chambre civile, du 14 septembre 2011 n° 09/01677) ; Voire : 28.000 euros d’indemnités pour un prêt personnel de 73.000 euros, soit 38% du montant du prêt (Cour d’appel de Grenoble du 26 octobre 2021, n° 20/00423).
Tel est l’éclatant succès de la fabrication normative de la Cour de cassation dans la protection des emprunteurs particuliers en crédit immobilier : un principe obligationnel mal formulé, réservé à quelques emprunteurs, leur imposant une charge démesurée de preuve, pour une indemnité aux principes imprécis, donc, au résultat aléatoire et hétérogène.
Depuis le 1er octobre 2016, est apparue une obligation, de nature légale, de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs. En 2022, la voici très rapidement confrontée aux « normes » d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière.
2. À peine apparue, depuis 2016, l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs entre en concurrence avec les « normes » 2022 du Haut Conseil de Stabilité Financière.
L’obligation légale de mise en garde de l’emprunteur en crédit immobilier est entrée le 1er octobre 2016 dans le droit national. Mal connue, à peine diffusée, à peine éprouvée, elle se trouve en compétition depuis le 1er janvier 2022 avec les « normes » d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), qui visent exactement les mêmes objectifs.
2.1. L’obligation légale de mise en garde de l’emprunteur en crédit immobilier est en vigueur depuis le 1er octobre 2016.
Depuis le 1er octobre 2016 (Directive n° 2014/17/UE du 4 février 2014 et Ordonnance 2016-351 du 25 mars 2016), avec les contrats de prêts immobiliers aux Consommateurs souscrits depuis cette date, l’obligation de mise en garde en matière de crédit immobilier aux Consommateurs connaît la formulation que la Loi lui confère : « Sans préjudice de l’examen de solvabilité mentionné à l’article L. 313-16, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit met en garde gratuitement l’emprunteur lorsque, compte tenu de sa situation financière, un contrat de crédit peut induire des risques spécifiques pour lui » (article L313-12 du Code de la consommation).
Cette formulation évince nécessairement celle élaborée par la Jurisprudence depuis 2005, encore que l’évolution de l’expression initiale dans certains arrêts récents s’en approche (« le banquier prêteur n’est tenu d’une obligation de mise en garde à l’égard de l’emprunteur que si l’opération financée expose ce dernier à un risque particulier d’endettement », Cour de cassation, Civ. 1ère du 29 juin 2016, n°14-30011). L’obligation de mise en garde jurisprudentielle de 2005/2007 est vouée à céder à la place à l’obligation de mise en garde posée par la Loi (voir deuxième partie de cet article). Si la notion légale de « risque spécifique » peut paraître de prime abord, assez vague, sa traduction s’énonce pourtant facilement : critères d’octroi, nature du prêt (prêt in fine, ou remboursables en devises, ensemble de plusieurs prêts, emboîtés ou à paliers, à titre d’exemples). La Jurisprudence pourra en préciser les critères.
Cette obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs couronne un ensemble de dispositions précontractuelles, qui s’imposent soit au prêteur, soit à l’Intermédiaire bancaire. L’obligation désormais légale de mise en garde de l’article L313-12 du Code de la consommation se combine, nécessairement, avec l’obligation de vérification que le crédit immobilier est adapté au profil et aux besoins de l’emprunteur. En effet, d’une part : « le crédit n’est accordé à l’emprunteur que si le prêteur a pu vérifier que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ce contrat » (article L313-16 al. 1er du Code de la consommation). D’autre part : « Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit gratuitement à l’emprunteur les explications adéquates lui permettant de déterminer si le ou les contrats de crédit proposés […] sont adaptés à ses besoins et à sa situation financière » (article L313-11 du Code de la consommation). Il s’ensuit : que le prêteur est débiteur de l’obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, mais pas de celle de refuser le crédit inadapté (d’où l’intérêt de la mise en garde, en complément). C’est toujours l’emprunteur qui détermine personnellement si le crédit est adapté à ses besoins ; pas le prêteur ni l’Intermédiaire bancaire, ce que confirme la Jurisprudence européenne (CJUE, du 6 juin 2019, Affaire n° C-58/18).
La sanction de l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs est claire. Le prêteur qui manque à cette obligation légale de mise en garde « Peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, jusqu’à un montant ne pouvant excéder, pour chacun des manquements énumérés ci-après, 30% des intérêts et plafonné à 30 000 euros » (art. L341-27 du Code de la consommation), outre une sanction pénale (art. L341-31, 2° du Code de la consommation). Ces sanctions ne visent que le prêteur et sa rémunération, et non l’IOBSP, montrant à quel point l’obligation de mise en garde est intimement liée à l’acte déterminant d’octroi de crédit.
Pour leur part, les Intermédiaires bancaires sont tenus à l’obligation de mise en garde, incontestablement sous sa forme légale (art. L313-12 du Code de la consommation), quelles que soient leurs catégories d’IOBSP. De surcroît, les Courtiers-IOBSP en crédit doivent délivrer un conseil en crédit à leurs Clients (ensemble, articles L519-4-1, R519-28 et R519-29 du Code monétaire et financier, Décret 2012-101 du 26 janvier 2012, entré en vigueur le 15 janvier 2013).
À ces normes existantes en matière de protection des emprunteurs Particuliers en crédit immobilier, viennent s’ajouter, depuis le 1er janvier 2022, les principes d’octroi de crédit émanant du Haut Conseil de Stabilité Financière, ou HCSF.
2.2. Les « normes » d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière applicables depuis le 1er janvier 2022.
Les normes juridiques ont donc fait tardivement leur entrée dans le champ de l’octroi de crédit. Elles doivent soudainement coexister, depuis le 1er janvier 2022, avec une nouvelle nature de prescriptions : les plafonds d’octroi individuel de crédit immobilier aux Consommateurs fixés par le Haut Conseil de Stabilité Financière, ou « HCSF ». Le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) motive également les normes qu’il édicte en considération de l’objectif de la protection des emprunteurs. Le HCSF avance ainsi deux motivations (Décision D-HCSF-2021-7 du 29 septembre 2021) :
« […] pérenniser un octroi prudent de crédit à l’habitat »
« […] prévenir un endettement excessif des agents économiques […] ».
« Prévenir un endettement excessif […] » des Particuliers ou des Ménages c’est, concrètement, protéger les emprunteurs Particuliers contre le risque d’endettement excessif.
Pour sa part, le site internet de l’information légale et administrative (du Premier Ministre) utilise franchement le terme de « surendettement », affichant : « Afin d’éviter un surendettement des ménages, le Haut conseil de stabilité financière a révisé les conditions d’octroi des crédits immobiliers, […] » [3]. Une source supplémentaire de confusion.
Les « normes » du HCSF sont simples : l’octroi de crédit immobilier aux Particuliers ne doit pas s’opérer en dépassant 35% de taux d’effort à l’octroi (« taux d’endettement » dans la terminologie des Tribunaux) ni des durées initiales de prêts supérieures à 25 années (27 années en cas de travaux). Cumulativement. Les dérogations à ces deux critères d’octroi ne peuvent dépasser 20% de la production de prêts, dont 16% pour les primo-accédants (Décision D-HCSF-2021-7 du 29 septembre 2021). Le HCSF écarte délibérément l’essentielle notion de « reste à vivre ».
Certains crédits immobiliers sont hors du champ de ces mesures : prêt relais, prêt renégocié, prêt souscrit en remboursement par anticipation d’un prêt immobilier en cours, ou prêt de regroupement de crédits (art. L314-10 et s. du Code de la consommation). Hors ces critères dotés d’une force juridique, la minceur du patrimoine des primo-accédants les prive de l’apport à présent exigé par les prêteurs (environ 10% du prix d’achat du logement), pénalisant surtout pour les jeunes et pour les personnes modestes. Les acquisitions d’investissement (environs 20% des transactions, source : IMSI) sont délibérément privées de capitaux. En figeant la durée des prêts à 25 ans, les critères d’octroi de crédit immobilier produiront également un effet de ralentissement des prix de l’immobilier, dont la hausse était en partie compensée par l’allongement des durées d’emprunt. Sous l’effet des mesures du HCSF, le marché immobilier français poursuit sa fermeture, notamment aux jeunes actifs et aux investisseurs, en dépit des taux de croissance des transactions et des crédits immobiliers.
En 2020, près d’un quart (23,1%) des nouveaux prêts immobiliers présentaient un taux d’effort à l’octroi supérieur à 35% (Banque de France, « Le financement de l’habitat en 2020 », septembre 2021). En 2021, le surendettement des Particuliers recule depuis 2014, en nombre de nouvelle demandes (« situations de surendettement soumises aux Commissions »), il est vrai, le total de Particuliers surendettés n’étant pas publié (Banque de France, enquête typologique sur le surendettement des ménages, février 2022).
Pour leur part, les Tribunaux civils raisonnent majoritairement le caractère excessif d’un crédit selon la notion du reste à vivre, en complément du taux d’endettement. En voici quelques exemples récents : un taux d’endettement de 36% aurait justifié l’obligation, manquante, de mise en garde (mais l’emprunteur n’ayant fait aucune demande, il ne reçoit du Juge aucune indemnité : Cour d’appel de Caen, du 11 mai 2021, n° 18/00733). Le taux d’endettement d’un emprunteur surendetté, variant dans le temps de 31% à 41% les dernières années du prêt immobilier est jugé non excessif et ne justifiant pas la mise en garde (Cour d’appel de Rennes, du 26 novembre 2021, n° 18/05589). Le taux d’endettement de 42% n’est pas excessif, en présence d’un reste à vivre supérieur à 5.000 euros pour un couple (Cour de cassation, Civ. 1ère du 10 novembre 2021, n°20-10.450). Un taux d’endettement chutant de 45,24 % à 39,20% sous l’effet d’un regroupement de crédits demeure excessif : « la banque avait cependant l’obligation de mettre en garde les emprunteurs contre le risque avéré de surendettement dans la mesure où leur taux d’endettement restait supérieur à celui de 33% normalement admissible, que l’opération était donc disproportionnée avec les capacités financières du couple » (Cour d’appel de Reims, du 6 juillet 2021, n° 20/01325). Un taux d’endettement « de 36,15% avec un reste à vivre d’un montant de 8 264,24 euros, […] ne caractérise aucun risque d’endettement » (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 30 septembre 2021, n° 19/04130). Le prêt qui rehausse le taux d’endettement de 23,6% à 47,42% est excessif (Cour d’appel de Grenoble du 26 octobre 2021, n° 20/00423). Un prêt au taux d’endettement de 50% « est adapté aux capacités financières de l’emprunteur » (Cour d’appel de Lyon, du 8 avril 2021, n° 18/07009).
Désormais, pour les prêts immobiliers accordés depuis le 1er janvier 2022, les Tribunaux civils seront confrontés aux « normes » du HCSF, lesquelles, en substance, affirment que tout prêt supérieur à 35% de « taux d’endettement » (taux d’effort à l’octroi) et/ou d’une durée supérieure à 25 années est nécessairement excessif, avec une marge au statut imprécis, limitée à la dérogation volumétrique de 20%.
C’est clair : les obligations précontractuelles des Professionnels bancaires appliquées au crédit immobilier aux Consommateurs ont fait faillite le 1er janvier 2022. Les « normes » d’octroi de crédit du HCSF surplombent désormais l’octroi de crédit immobilier aux Particuliers. La question de l’articulation des normes d’octroi de crédit, telles que décrites plus haut, se posera de manière cruciale aux emprunteurs en difficulté, ainsi qu’aux Tribunaux civils. Sans accompagnement, ce bouleversement impose donc dès à présent aux Professionnels bancaires, notamment aux Intermédiaires en Opérations de Banque et en Services de Paiement (IOBSP), tels que les Courtiers en crédit immobilier, d’ajuster la délivrance de leurs obligations précontractuelles en crédit immobilier aux Consommateurs.
Laurent Denis
Juriste – Droit et Conformité des Intermédiaires banque, assurance, finance.